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7 avril 2023 - La Passion du Seigneur

La Passion du Seigneur
Vendredi Saint  - 7 avril 2023

Chers frères et sœurs, 

La mort, on voudrait souvent ne pas la voir, ne pas avoir à l’affronter. Elle peut nous faire peur, nous angoisser. C’est toujours un drame qui se déroule, un abime qui se creuse, une séparation qui nous blesse et nous fait pleurer. Il nous est arrivé peut-être, à l’un ou à l’autre, d’accompagner une personne qui rendait son dernier souffle, et nous avons pu alors mesurer l’importance d’être là, de lui tenir la main, de lui sourire, d’accompagner la vie jusqu’au bout. Il nous faudra tous un jour ou l’autre passer par la mort. Et nous vivrons notre mort, seul ou entouré, dans la paix ou la tourmente, selon la présence ou non de nos proches. Celui qui nous ouvre une porte au-delà de la mort, c’est Jésus, le Christ, mort et ressuscité. En ce jour du Vendredi-Saint, nous rappelons que Dieu s’est fait tellement proche de nous qu’il a vécu même l’expérience de la mort, justement pour nous arracher à son pouvoir. En mourant, Jésus nous donne sa vie. Nous, baptisés, nous passons la mort avec Jésus pour entrer dans la vie avec lui. Une vie nouvelle toute resplendissante de la beauté et de la sainteté de Dieu.  

Le législateur, sur un projet du chef de l’État, prépare une nouvelle loi sur la fin de vie ; nous en avons entendu parler. Une convention citoyenne, chargée d’évaluer s’il est opportun ou non de modifier la loi actuelle, vient de rendre son rapport il y a trois jours, avec deux pistes en totale contradiction, vraiment antinomiques : d’une part développer et soutenir les soins palliatifs qui offrent un accompagnement plein d’attention et d’humanité ; et d’autre part ce qui est appelé par tromperie « aide active à mourir » ou « mourir dans la dignité », en fait un suicide assisté ou même l’euthanasie active qui consiste à donner la mort par une injection. L’Ordre des médecins vient de s’y opposer, car tuer n’est pas un soin. Des associations de soignants s’y opposent aussi avec sagesse et raison, pour le même motif. Alors que les soins palliatifs ne sont pas encore assez déployés dans nos hôpitaux – c’est pourtant demandé par la loi actuelle - nous estimons que c’est la priorité pour garantir la dignité de chaque personne et la grandeur de la fraternité. 

Nous devons rester très vigilants face à cette évolution qui serait une rupture dangereuse. Une société qui abandonne le commandement fondamental « tu ne tueras pas » - c’est un interdit universel non réservé aux croyants - est une société qui bascule dans des logiques de dérives eugénistes de sélection entre ceux qui sont maintenus en vie et ceux qui sont supprimés, ceux qui sont soignés et ceux qu’on abandonne, ceux qui valent encore le coût de se battre et ceux qui coûtent trop chers à l’hôpital. Les évêques de France ont diffusé ces derniers jours depuis Lourdes un plaidoyer pour une « aide active à vivre » et non pas « à mourir ». Il nous faut être aujourd’hui et demain les témoins courageux et les défenseurs acharnés de la dignité de la personne humaine quelle qu’elle soit : de l’embryon à naître au vieillard en fin de vie, du malade à la personne handicapée, du prisonnier au migrant… nul n’échappe à cette dignité partagée qui exige le plus grand respect. 

Après avoir écouté une fois encore le très émouvant récit de la Passion, après avoir porté la Croix de Jésus dans les rues de Châlons il y a un instant, nous allons vénérer la Croix du Seigneur, dans un grand silence, profond et beau. Silence de la mort, silence du respect, silence du recueillement et de l’adoration, silence du dialogue avec Jésus. Vénérer la croix, ce n’est pas du fétichisme ni du masochisme, mais un acte de foi et d’espérance. Nous ne nous réjouissons pas de la mort. D’ailleurs ce n’est pas Dieu qui a fait la mort. Nous reconnaissons seulement dans cette Croix l’arbre de la vie, le trophée de la victoire. Nous acclamons cette Croix qui est l’instrument de notre délivrance. Lorsque nous accrochons sur nos crucifix un rameau de buis béni, nous exprimons notre foi en la victoire de Jésus sur la mort : ce bois mort fleurit et porte du fruit. La vie a du sens, la mort a du sens. C’est pourquoi, avec toutes les grandes religions monothéistes, nous affirmons notre refus de l’euthanasie qui est un homicide, quoi qu’on en dise. Pourquoi s’opposerait-on aux homicides sur les femmes et les enfants, pourquoi s’opposerait-on aux crimes de guerre, à la peine de mort, et pas à l’euthanasie ? La mort est un passage vers la vie. Et la vraie dignité n’est pas d’être tué par son médecin mais d’être aimé et accompagné jusqu’au bout, librement, grâce à une atténuation de la souffrance.  La mort fait partie de la vie. 

Frères et sœurs, nous mesurons bien les enjeux pour nous et les générations futures, pour notre société toute entière. Nous nous sentons peut-être bien impuissants devant ce rouleau compresseur qui, au nom d’une soi-disant liberté individuelle, voudrait supprimer le drame de la mort en supprimant le mourant. Mais c’est en vivant avec le mourant qu’on accueille la mort avec respect et confiance. Nous avons mis notre foi en Jésus le Sauveur. Ce soir, devant la Croix, redisons seulement dans le silence : « Jésus ! Nous t’acclamons. Par ta mort, tu as sauvé le monde de la mort ! »

Amen.